CONTRACTIONS-MIKE BARTLETT-
Création en Belgique
Auteur:Mike Bartlett, dramaturge anglais. Sa pièce a d’abord été jouée à la radio sous le titre de « Love Contract », programmée ensuite au Royal Court Theatre(Londres)
SYNOPSIS
Une manager et son employée, Emma se rencontrent de manière épisodique. À quatorze reprises, la manager reçoit la jeune femme dans son bureau. Chaque entretien démarre de la même manière : les didascalies nous renseignent que la manager est assise derrière son bureau et qu’Emma rentre dans la pièce.
Au fil de l’intrigue, on pénètre dans l’enfer de l’entreprise qui soumet Emma et ses collègues à toujours plus de pressions. On assiste à une véritable épreuve de domptage où l’employée doit tout sacrifier pour l’entreprise et son chiffre d’affaires, quitte à perdre quelques plumes en cours de route.
Les dialogues de la pièce, qui semblent, dans un premier temps, quotidiens, se transforment peu à peu en un interrogatoire lapidaire et glaçant, en un effrayant et oppressant cauchemar. Jusqu’où Emma ira-t-elle pour garder son emploi ?
CONTRACTIONS
La pièce nous plonge dans l’univers du travail et des entreprises où la manipulation, la délation et la soumission sont à l’œuvre. Une pièce qui flirte avec la science-fiction et Big Borther. La présence de la vidéo surveillance est accentuée par la scénographie et la création vidéo d’Arié van Egmond. Une pépite noire, drôle et troublante qui nous fera longuement réfléchir.
LES DEUX COMEDIENNES
Hélène Theunissen( la manager)
Joséphine de Renesse (Emma, l’employée)
Elles sont remarquables dans leur interprétation, d’une vérité fulgurante.
Magnifiquement dirigées par Marcel Delval, comédien et metteur en scène, l’un des fondateurs du Théâtre Varia.
RENCONTRE/INTERVIEWS
(menée par Emilie Gabele)
E.G : Qu’est-ce qui vous a plu dans cette pièce ?
Marcel Delval : .D : Cela me plaisait de mettre en scène deux comédiennes que j’apprécie beaucoup, et ce , dans deux beaux rôles féminins. Cette pièce développe un monde qui se situe entre la réalité et la science-fiction. J’ai tout de suite pensé à 1984 de George Orwell. Nous ne sommes pas loin de Big Brother. Ce qui se passe dans la pièce ne pourrait pas se produire aujourd’hui, quoique peut-être que d’ici vingt ou trente ans, cela pourrait réellement arriver. Dans certains pays, comme la Corée du Sud ou le Japon, on y est déjà. Les gens travaillent 60h par semaine. Ils ne peuvent pas refuser quand on leur demande de rester plus tard et doivent sacrifier leur vie de famille. Ils obéissent et baissent la tête sans arrêt car ils ont trop peur de perdre leur emploi. Il faut être compétitif et performant. Des mariages sont organisés au sein même de l’entreprise pour ne pas perdre trop de temps. Dans « Contractions », la manager fait entendre à plusieurs reprises que les temps sont difficiles, que l’on ne trouve pas facilement du travail, que sans emploi on est un crève-la-faim… Il s’y trouve très certainement un côté prémonitoire. Puis la pièce n’est pas exempte d’un humour anglais noir et cinglant dont je suis très friand.
Joséphine de Renesse : Les thèmes très actuels – le monde du travail, le harcèlement, la manipulation – m’ont tout de suite séduite. Cette pièce va très loin. J’ai également trouvé intéressant que nous ayons affaire à deux femmes et non deux hommes, ou un homme et une femme. Le thème de la maternité est très présent. La pièce soulève la question de la compatibilité entre la vie privée – en couple, marié, en passe d’avoir des enfants, avec des enfants, etc. – et la vie professionnelle.
Hélène Theunissen : : J’étais très heureuse de découvrir cette pièce pour deux actrices. Depuis l’aventure d’ »Adultères », Joséphine et moi-même avions envie de jouer à nous deux. Dans le paysage théâtral, les partitions masculines sont plus nombreuses que les partitions féminines. Et « Contractions » propose deux très beaux rôles féminins.
E.G : Qu’apporte justement à la pièce ce duel féminin ?
Joséphine de Renesse : Selon moi, c’est encore plus cruel que l’interlocuteur d’Emma soit une femme.
Hélène Theunissen : En effet. On pourrait penser qu’une femme aurait davantage d’empathie qu’un homme, mais il n’en est rien. Toutefois, il est à noter que la manager n’est pas plus dure ou odieuse qu’un homme. Elle fait son job, c’est tout.
E.G : « Contractions » évoque le « love contract ». Ce type de contrat est très fréquent aux Etats- Unis et est d’usage dans certaines entreprises britanniques. Pensez-vous qu’il pourrait se répandre chez nous ?
Hélène Theunissen : Tout peut arriver. La dimension humaine au sein des entreprises est devenue secondaire, voire totalement absente. Il n’est question que de rentabilité, d’efficacité, d’immédiateté. Les gains et le capital ont pris la place de l’humain. Les choses s’accélèrent sans cesse. Si nous ne sommes pas attentifs, cette logique-là pourrait arriver chez nous.
Les dialogues de la pièce qui semblent dans un premier temps quotidiens, se transforment peu à peu en un interrogatoire lapidaire et glaçant, en un effrayant et oppressant cauchemar.
RENCONTRE/INTERVIEWS (suite)
E.G : Que dénonce la pièce ?
Marcel Delval : La pièce dénonce les dérives du capitalisme.
La pièce pointe les perversions et les maux du système capitaliste.
Hélène Theunissen : C’est une pièce très kafkaïenne. Elle dénonce toute la machinerie interne à une entreprise, tous ses rouages. Les contrats qui sont signés sont faits pour prévenir, pour mettre en garde. La maxime de la pièce pourrait être « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». En effet, cette entreprise devient un enfer pour ses employés alors qu’au départ tout a été mis en place pour que tout soit clair et transparent, pour que le débat soit possible.
E.G : Que dire d’Emma ?
Marcel Delval : Son personnage est ambigu. Au départ, elle semble vouloir résister. Mais peu à peu, le processus de manipulation opère et Emma se retrouve soumise, pieds et poings liés à l’entreprise. C’est un voyage qui initie à la soumission. On voit cette jeune fille se transformer complètement tout au long de la pièce. La manager, quant à elle, est plus intemporelle. Elle n’évolue pas ou peu, et ne montre que très peu ses failles. Emma essaie de la secouer. J’aime beaucoup cette réplique d’Emma : « Est-ce que vous saignez ? », sous-entendu « Est-ce que vous vivez, est-ce que vous avez un cœur ou êtes-vous un robot !
E.G : Est-il possible d’être tout à la fois femme, mère et employée modèle ?
Marcel Delval : Dans la pièce, Emma n’arrive pas à gérer ces différentes casquettes et doit faire des choix. Ça a toujours été plus compliqué pour les femmes et je crains que la situation ne s’améliore pas, notamment avec le retour d’une droite forte au pouvoir.
Joséphine de Renesse : Cela me paraît difficile de tout faire à 100%. Je ne peux pas croire les femmes qui disent qu’elles gèrent à fond ces différentes casquettes. D’un côté ou de l’autre – au boulot, dans la vie de famille, dans la vie de couple… –, ça trinquera toujours. Maintenant, la société évolue. Des hommes aussi travaillent à temps partiel pour se consacrer à l’éducation de leurs enfants.
E.G : Dans la pièce, les employés mâles sont-ils traités différemment des femmes ?
Joséphine de Renesse : Darren( l’homme d’Emma) trinque tout autant qu’Elle. Il est muté et ne peut plus voir son fils.
Hélène Theunissen : Je ne pense pas que la pièce aborde le sujet de l’inégalité homme/femme. Il n’y a pas de différence de traitement entre l’homme et la femme. Ils sont mis au même régime. On apprend dans la pièce que Darren est appelé aussi souvent qu’Emma, qu’il doit également rendre des comptes, qu’il a aussi dû signer le love contract, que la manager l’a remis à sa place, qu’il a été muté deux fois, dont une fois en Ukraine. On ne voit que la part féminine du couple, mais c’est tout le couple qui est broyé par cette entreprise. Oui, c’est elle qui garde l’enfant et lui prend ses distances, mais qui ne les prendrait pas quand on se retrouve muté, tout seul, dans un pays éloigné et totalement inconnu ?
Info
Le « love contract » est un contrat que font signer certaines entreprises à leurs employés et qui établit des règles très précises sur le comportement à adopter en termes de relations amoureuses ou sexuelles sur le lieu de travail. Si une relation existe, l’employé est obligé de la révéler. La transgression de la clause dite « date and tell » (flirter et le dire) peut entraîner un licenciement. Ce love contract est une réalité devenue banale aux États-Unis. Il est également appliqué dans certaines entreprises britanniques.
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CONTRACTIONS
Il y a de grands moments d’émotions, poignants, pathétiques.
14 séquences montrant l’évolution de la situation d’Emma, de plus en plus dramatiques dont la naissance de l’enfant d’Emma.
Joséphine de Renesse et Hélène Theunissen sont tout à fait remarquables, s’enfermant totalement dans leur
personnage . On ne pense plus aux deux comédiennes. On voit vivre deux femmes qui se déchirent.
La mise en scène de Marcel Delval est d’une grande sobriété, sans effets faciles, sans excès spectaculaires.
E/G : Marcel Delval , un mot sur la scénographie d’Arlé van
Les Egmond ?
Marcel Delval : Même si le centre de l’action reste les dialogues, nous devions créer un cadre dans lequel les deux actrices progressent. Nous voulions donner une atmosphère, rendre visible ce cadre des entreprises qui soi-disant offrent un service d’aide aux employés, mais qui en réalité ne font que les enfoncer un peu plus. Nous le développons à travers le son et l’image.
Nous sommes aussi face à une scène qui se répète sans cesse, même si elle évolue. Là intervient le facteur « temps ». L’image projetée est sensiblement la même que celle qui se passe sur le plateau, mais pas tout à ait. Voit-on un direct ou des images enregistrées ? Le but est de créer avant tout un trouble chez le spectateur.
(Extraits de l’entretien d’Emilie Gäbele , attachée de presse du Théâtre Varia)
CONTRACTIONS
Marcel Delval : Si les entretiens quotidiens, menés face à face, les yeux dans les yeux , entre la manager et Emma, sont parsemés de jets d’humour noir , ils se transforment progressivement en un interrogatoire lapidaire et glaçant puis en un troublant , effrayant et oppressant cauchemar.
CONTRACTIONS- MIKE BARTLETT
Version française : Kelly Rivière
Avec Joséphine de Renesse et Hélène Theunissen.
Mise en scène : Marcel Delval
Scénographie, video , lumières : Arié Van Egmont
Créations costumes : Odile Dubucq
Un spectacle du Théâtre Varia
CONTRACTIONS
Jusqu’au 11/02/17
THEATRE VARIA (le petit théâtre)
Rue Gray 154 – 1050 Bruxelles
Infos Réservations : 02 / 640 35 50
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Notre moment de séparation : Ce soir à 22h30 sur Arte, un documentaire sur
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Roger Simons
entoure.